L’orgue aujourd’hui

L’expertise d’un connaisseur

Expert et passionné, le musicologue Roland Galtier a fourni une description toute à la fois enthousiaste et particulièrement précise de l'orgue de Saint-Hippolyte-du-Fort. Nous citons ici les remarques d'un connaisseur.

« Ce petit orgue (14 jeux) sonne vraiment comme un grand orgue. Il remplit avec ampleur l’acoustique généreuse du temple (jusqu’à 7 secondes de réverbération, ce qui n’est pas le mieux pour l’intelligibilité de la parole, ni même pour la musique de chambre, mais donne des résultats magnifiques en ce qui concerne l’orgue).

Les paramètres d’harmonie de Beaucourt et Vœgeli paraissent bien conservés, malgré les interventions dont cet orgue a été l’objet : hauteurs de bouches, dentitions. L’harmonie sonne avec une voyelle très ouverte. Tout, ici, est efficace, la douceur enveloppante des flûtes (on regrettera peut-être la faiblesse des aiguës du Bourdon 8’), la somptuosité du plenum, composé de seulement trois jeux (Montre – Prestant – Fourniture), qui remplit totalement l’acoustique de l’édifice, et peut soutenir le chant soutenu d’une assemblée entonnant avec vigueur psaumes et cantiques. Le Cornet s’intègre parfaitement dans ce plenum, venant en souligner la partie supérieure : c’est donc bien un orgue adapté au chant d’une assemblée protestante.

Une caractéristique de l’harmonie de cet orgue, c’est que tous les mélanges fonctionnent. Au demeurant, l’orgue peut aussi servir un répertoire de musique écrite pour orgue seul, des pages de Bach y sonnent à merveille. Un accouplement ne servirait à rien sur un tel orgue, en revanche, l’ajout de la tirasse, qui n’existait pas à l’origine, avec 30 notes, permet d’aborder un répertoire finalement assez étendu. Les organistes invités ne s’en privent pas, jouent Bach, Mendelssohn, Brahms, et même Buxtehude, Mozart, Schumann… En revanche, les musiques françaises, y compris celles contemporaines de la construction de l’orgue, y sont moins à l’aise.

Le diapason, très certainement très proche de celui d’origine, car on ne remarque pas d’altération de la tuyauterie, et assez haut, il a été mesuré à 438,5 Hz par une température de 10,9 ° C, ce qui équivaut à 442 Hz à 15 ° C ».

Et d’ajouter :

« Les orgues de Hippolyte-César Beaucourt et Jean-Melchior Vœgeli sont exceptionnels par bien des aspects, à la fois techniques, musicaux et esthétiques. Du point de vue technique, ils présentent des caractères archaïques, comme le fait que les buffets soient porteurs, et des innovations, comme les vis de réglage sur les crapaudines d’abrégés. Différentes dispositions sont directement issues de pratiques qu’on trouve dans la facture germanique, comme les ressorts à lames de bois pour équilibrer la pression dans des soufflets à pli unique, ou les sommiers établis sur des divisions monumentales.

Les orgues sont conçus pour entraîner le chant de l’assemblée, avec des harmonies franches, émettant une syllabe franchement ouverte. La confession protestante de Beaucourt d’une part, l’origine et la formation de Vœgeli expliquent cela.

L’orgue de Saint-Hippolyte-du-Fort a certes été inachevé, puis malmené par l’histoire, mais il est un témoin tout à fait authentique de l’art de ces facteurs, et la restauration de Laurent Plet a été tout à fait exemplaire, respectant et restituant la facture originelle et originale ».

Roland Galtier est l’auteur d’une thèse de doctorat d’État de musicologie La facture d’orgues en France de 1800 à 1870, soutenue à Paris‑IV‑Sorbonne – Éditions du Septentrion, Lille, 1997.

La sensibilité d’un facteur

Une plaque en laiton à l’effigie des facteurs constructeurs est vissée au-dessus des claviers. On sait que Beaucourt et Vœgeli avaient l’habitude de signer leurs instruments en gravant des écussons ogivaux sur les tuyaux de façade de façon à ce que leur pointe dessine une sorte de fleur de lys. La plaque de la console comporte un dessin décoratif, manifestement gravé à la main, dans lequel on peut aussi remarquer deux petites fleurs de lys gravées de part et d’autre de l’ornementation.

Plaque des facteurs d'orgues Beaucourt & Vœgeli
Sébastien Cosson, jeune facteur à l'époque de la restauration, habitait la commune voisine de Monoblet. Il est l'auteur d'un article sur les caractéristiques stylistiques de l'instrument paru dans la presse locale. Auteur du relevé de l'orgue du temple que l'on peut qualifier d'exhaustif, il s'est aussi livré à une confidence qui ouvre les chemins de l'avenir :

« Aucun relevé, aucune monographie, aucune description, fut-elle la mieux écrite et la mieux illustrée ne remplacera jamais l’émotion que procure la visite et l’écoute entre amis d’un instrument ».

Il en va de même pour l’Association des Amis de l’Orgue et pour cet instrument remarquable : sa pérennité n’a de sens que s’il permet de retrouver le plaisir musical. Nous espérons que nos deux amis, le musicologue et le facteur, seront entendus et que vous gravirez les quelques marches du temple de Saint‑Hippolyte‑du‑Fort pour découvrir et connaître ce vieil instrument certes à l’origine inachevé puis malmené par l’histoire mais qui connut une nouvelle consécration un siècle et demi après sa construction.

Une organiste passionnée

Organiste titulaire de l'Oratoire du Louvre, Marie‑Louise Girod, joua sur l'orgue de Saint‑Hippolyte le 8 mai 1960 lors de l'inauguration qui suivit la modernisation inadéquate de Maurice Puget. Sans doute voulu-t-elle se rendre compte de l'excellente restauration de Laurent Plet (1992) et laissa cette petite trace  dans l'ordinaire registre des utilisateurs quotidiens. Une Croix de Bach qui, à la différence de l'originale, tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre ! 
Croix de Bach par l'organiste Marie-Louise Girod